À l’occasion de la NYC Design Week (du 17 au 28 mai 2023), six modèles rares de lampes Akari sont exposés et vendus aux Etats-Unis, dans la boutique du musée Noguchi à Long Island City (New York). L’occasion de revenir sur ces sculptures lumineuses fascinantes, véritables icônes du design du XXe siècle, fruits de l’imaginaire d’un artiste prolifique et du savoir-faire ancestral japonais en matière d’artisanat. Des lampes poétiques auxquelles Isamu Noguchi consacra 30 ans de sa vie et dont la lumière, unique, berce encore tant de foyers dans le monde entier.
Les lampes “Akari”, en référence à la lumière et une certaine idée d’apesanteur, sont en réalité bien plus que des lampes. Ces sculptures lumineuses, hommage à la culture japonaise, sont ainsi l’alliance parfaite de caractéristiques fonctionnelles et d’esthétisme nippon. Résistantes, bien que délicates, simples d’utilisation tout en étant issues d’un savoir-faire complexe, les lampes Akari sont entièrement réalisées à la main. Un véritable travail d’orfèvre, pourtant diffusé à grande échelle. Ces créations tout en contraste, qu’il faut admirer dans la pénombre pour en saisir pleinement la beauté, ne cessent d’émerveiller depuis des décennies les amateurs de design en quête d’épure et de sérénité. Des amoureux de simplicité et de naturel, comme l’était le designer Pierre Chapo qui exposait d’ailleurs les Akari dans son atelier-boutique dès les années 1950, période de création des premiers modèles.
Les lampes Akari, fruits d’un savoir-faire ancestral au Japon
Si les lampes Akari fascinent toujours autant, c’est peut-être aussi parce qu’elles semblent, toutes ensembles, former un répertoire encore indéchiffrable, une sorte d’alphabet de la lumière se déclinant en colonnes, doubles cornes, sphères, cubes, pyramides, hélix, torsades… Des modèles aux formes aussi complexes que épurées, qu’un simple coup d’œil ne parvient pas à saisir entièrement ; et pourtant, le message essentiel transparaît immédiatement : un sentiment de paix aussi doux que la lumière tamisée diffusée par chaque Akari. Une lueur apaisante et délicate, que l’on pourrait comparer à cette heure précise où le jour laisse subtilement place à la nuit, et qui n’est pas sans rappeler celle émise par les lanternes japonaises. Des lanternes qui, tout comme les lampes Akari, doivent leur légèreté et leur transparence au papier washi, feuille de mûrier de couleur ivoire. Ce papier japonais traditionnel, fabriqué artisanalement depuis plus de 1300 ans, est réputé pour sa souplesse et sa longévité. Le papier washi résiste ainsi remarquablement bien aux plis et aux déchirures.
Présentées pour la première fois en 1952 au Musée d’art moderne de Kamakura, les lampes Akari prennent vie grâce aux méthodes de fabrication traditionnelles des lanternes et parapluies en bambou dont la ville de Gifu, au Japon, en a fait sa spécialité. Un lieu visité par Isamu Noguchi en 1951, où se trouve le fabricant Ozeki & Co, auquel l’artiste confie la production de ses sculptures Akari. L’entreprise continue à les fabriquer artisanalement depuis plus d’un demi-siècle maintenant, suivant les méthodes de production initiales. Chaque modèle est donc entièrement réalisé à la main, à partir de bandes de papier washi collées sur des nervures de bambou auparavant tendues sur des supports sculpturaux en bois. Une fois la colle séchée et la forme de la lampe fixe, l’ossature intérieure est repliée, ne laissant alors que le papier souple de la lampe Akari qui peut être plié à plat pour être facilement expédié.
Isamu Noguchi, artiste entre tradition et modernité
Avec ces lampes Akari, Isamu Noguchi veille ainsi à faire cohabiter tradition et modernité, en permettant à des modèles réalisés selon des techniques ancestrales d’être distribués dans le monde entier. Une prouesse que l’artiste, fils d’une mère écrivaine américaine et d’un père poète japonais, n’a eu de cesse de renouveler dans la majorité de son répertoire, repoussant les limites possibles en termes de fabrication. Il en résulte des œuvres subtiles, dont l’apparente fragilité cache pourtant une solidité à l’épreuve d’une expédition mondiale.
Isamu Noguchi avait à cœur de diffuser au plus grand nombre l’esthétique japonaise et la culture zen. Allumer chez soi une Akari ne revient ainsi pas à éclairer une simple lampe, c’est donner vie à une sculpture lumineuse, d’où émane une grande sensibilité. Car, chaque modèle issu de l’imaginaire de l’artiste, prend également forme sous les mains d’un artisan japonais dévoué corps et âme à son métier. Les lampes Akari nous rappellent ainsi tout ce qui précède notre venue au monde : des êtres qui, après avoir passé des heures indénombrables au-dessus d’un établi, transmettent leur savoir-faire aux générations suivantes. Des hommes qui, animés par un fort désir de création, cherchent à tendre vers un idéal. Comment ne pas être, dès lors, touché par la profonde humanité qui émane d’une sculpture Akari ?
La magie du papier retransforme l’électricité froide en la lumière originelle – le soleil – afin que sa chaleur puisse continuer à remplir nos chambres la nuit.
Isamu Noguchi
Décédé en 1988 à l’âge de 84 ans, Isamu Noguchi laisse derrière lui près de 240 modèles de luminaires Akari. L’artiste affirmait d’ailleurs que « ce qui est beau dans un jardin n’est pas chaque élément, mais la relation entre les éléments. Ce qui est encore plus important, c’est qu’il y a l’espace, l’homme et le temps. Il faut qu’un homme marche dedans avec ses pieds pour le découvrir. » Une phrase prononcée à l’occasion de l’inauguration de la maison de l’UNESCO à Paris (1956), qui résume parfaitement la philosophie d’Isamu Noguchi, alors chargé d’y créer un jardin japonais. Un éden contemplatif entre tradition et modernité, qu’il convient d’emprunter pour en saisir l’essence. A l’image de ce jardin zen, il vous faudra allumer de vous-même une lampe Akari pour ressentir pleinement l’apaisement qu’elle procure. Des modèles aujourd’hui édités par Vitra, qui continuent d’enchanter les intérieurs du monde entier avec leur lumière tamisée et leur élégance discrète, témoignages de l’héritage visionnaire d’Isamu Noguchi et de sa douce poésie, dont le monde a tant besoin.