Vous l’avez sûrement déjà entendu, ou peut-être même l’avez-vous dit : « Il est tellement impliqué, tu as de la chance ! ». Cette phrase qui semble inoffensive fait écho à une tendance bien ancrée, le « dad blessing ». Il s’agit d’une sorte de glorification des pères pour des actions parentales de base, qui sont pourtant attendues des mères sans aucune reconnaissance. Mais pourquoi félicite-t-on autant les pères pour ce qui est perçu comme normal pour les mères ? Et pourquoi cette attitude est-elle problématique, voire toxique ?
Quand le quotidien des pères devient héroïque
Le « dad blessing » est une forme de reconnaissance exagérée envers les pères pour des tâches ordinaires liées à l’éducation des enfants. Emmener son fils à l’école, préparer un repas, changer une couche… Ces gestes, souvent accomplis dans l’ombre par les mères, sont célébrés quand ils sont faits par un père. Mais pourquoi applaudir ces pères pour ce qui devrait être considéré comme normal dans le cadre de la parentalité ?
Cette attitude reflète une inégalité persistante dans les attentes sociales. Les mères sont perçues comme naturellement équipées pour s’occuper des enfants, tandis que les pères, eux, sont vus comme des héros dès qu’ils participent. Sarah, mère de trois enfants, se rappelle : « Quand mon mari a pris une semaine de congé pour s’occuper des enfants, tout le monde l’a félicité. Pourtant, moi, je gère tout le reste de l’année sans jamais un mot de reconnaissance. »
Une pression qui pèse lourd sur les mères
Sous l’apparence d’une société moderne valorisant les « nouveaux pères », une grande partie de la charge mentale continue de peser sur les femmes. Organiser les rendez-vous chez le pédiatre, préparer les vêtements pour l’école, gérer les imprévus du quotidien… toutes ces tâches, invisibles mais chronophages, restent souvent l’apanage des mères.
Même si certains pères s’impliquent davantage, ils sont rarement sollicités pour ces tâches logistiques. Le « dad blessing » accentue cette division en renforçant l’idée qu’un père qui en fait « un peu » mérite des louanges. Camille, mère active, confie : « Mon compagnon participe au bain des enfants tous les soirs et il reçoit sans cesse des compliments pour ça. Pendant ce temps, je gère tout le reste de la journée, mais personne ne le remarque. »
Ce double standard met une pression constante sur les mères. Elles doivent être parfaites, disponibles et organisées, sans jamais se permettre le moindre écart. Pendant ce temps, les pères sont perçus comme des figures presque « exceptionnelles » dès qu’ils jouent un rôle actif dans la vie de leurs enfants.
Familles, amis ou même simples connaissances ne manquent jamais une occasion de féliciter un père dès qu’il s’implique un tant soit peu dans la vie de ses enfants. « C’est incroyable, il a pris une journée de congé pour s’occuper d’eux un jour de grève d’école » ou « Quel papa modèle, il s’occupe des devoirs ! » sont des remarques courantes. Cette adulation perpétue l’idée que la participation des pères est exceptionnelle. Claire, maman de trois enfants, raconte : « Ma belle-famille est toujours émerveillée par les moindres faits et gestes de mon mari avec les enfants. Mais moi, qui gère tout le reste de la semaine, je n’entends que des critiques sur la façon dont je fais les choses. » Cet encensement, bien que souvent bienveillant, alimente l’inégalité dans la répartition des rôles parentaux et empêche une réelle évolution.
Sur les réseaux sociaux, ce phénomène est encore plus flagrant. Un père qui s’amuse avec son enfant est vu comme un super-héros, tandis qu’une mère sera souvent jugée pour la moindre « faute ». Julie, influenceuse et maman de deux enfants, raconte : « Un jour, j’ai posté une vidéo de mon mari jouant avec nos enfants et elle a fait le buzz. Par contre, quand je montre mon quotidien avec les petits, les gens ne réagissent pas de la même manière. »
Pourquoi ce phénomène peut-il être toxique ?
Le « dad blessing » n’est pas seulement frustrant pour les mères, il est aussi néfaste pour les pères. En glorifiant les actions les plus banales des pères, on ne les encourage pas à s’impliquer pleinement dans toutes les facettes de la parentalité. Au contraire, cela peut les maintenir dans un rôle secondaire, où leur engagement est perçu comme un « bonus » plutôt qu’une responsabilité partagée.
Il est nécessaire de dépasser cette glorification pour responsabiliser les pères et rendre la parentalité plus équitable. En les applaudissant pour des gestes quotidiens, on renforce l’idée qu’ils n’ont pas les mêmes obligations que les mères, ce qui perpétue des inégalités au sein des familles.
Lucas, père de deux enfants, partage : « Je ne veux pas qu’on me félicite pour faire ce qui est normal. J’essaie d’assumer toutes les tâches, qu’elles soient gratifiantes ou non, et je voudrais que ce soit vu comme un comportement standard, pas exceptionnel. »
Pour parvenir à une vraie égalité dans la répartition des tâches parentales, il faut sortir de cette logique de « bénédiction » pour les pères. Une parentalité équilibrée implique que chaque parent participe à parts égales, non seulement aux moments agréables comme les jeux ou les sorties, mais aussi aux aspects plus contraignants : la gestion du quotidien, la charge mentale, et l’organisation domestique.
C’est en acceptant de partager l’ensemble de ces responsabilités que les pères pourront réellement se sentir impliqués dans la parentalité, et non plus seulement valorisés pour quelques actions spécifiques. Il est temps que la parentalité cesse d’être perçue comme une tâche où les mères portent le fardeau principal.
Heureusement, de plus en plus de pères prennent conscience de l’importance de leur rôle dans l’éducation des enfants et s’impliquent de manière plus naturelle et équitable. Ils ne voient plus leur participation comme une « aide », mais comme une responsabilité partagée. Le modèle du père uniquement « présent pour les jeux » laisse place à des hommes qui assument toutes les facettes de la parentalité, de la gestion des repas à l’accompagnement émotionnel, en passant par la logistique quotidienne. Comme le dit Thomas, père de deux enfants : « On est deux à faire des enfants, donc on est deux à les élever. Cela ne devrait pas être vu comme un acte héroïque, mais comme la normalité. »
Fin du « dad blessing », place à la normalisation
Le « dad blessing » doit laisser place à une parentalité partagée, où l’implication des pères n’est plus perçue comme exceptionnelle mais comme une évidence. C’est en sortant de cette vision inégale que l’on permettra à chaque parent, mère ou père, d’avoir sa place légitime au sein de la famille.
La parentalité est un travail d’équipe et le rééquilibrage des tâches doit se faire naturellement, sans besoin d’applaudir des actions de base. En normalisant cet engagement, on libérera les mères d’une pression constante et on permettra aux pères de jouer pleinement leur rôle, sans être glorifiés pour ce qui devrait être normal.
Antoine, papa investi, conclut : « Ce que je veux, c’est être un partenaire à égalité, et non un papa félicité pour des choses que je fais au quotidien. On doit avancer ensemble, main dans la main, sans que ce soit un exploit d’être un père impliqué. »